/2ª sessão do Seminário Vergonha, Honra, Luxo, em francês

Séminaire
de Jorge Forbes Honte, honneur, luxe 2e séance – 16 avril 2003

Andréa Naccache

Traduction Alain Mouzat

La liberté fait peur, constate Jorge Forbes. Cela est clair quand des collègues se déclarent chargés d’orienter la
société afin qu’elle ne se perde pas, ou, comme cela s’est passé à Belo
Horizonte, quand ils reculent devant leurs propres propositions, par peur de
déclencher l’anarchie.
Cependant, souligne Jorge Forbes, si un analyste a peur de la liberté, il ne
pourra pas conduire une analyse. C’est d’ailleurs l’obstacle par excellence à
l’analyse: l’angoisse de l’analyste, son désespoir dans la séparation de
l’Autre.
Celui qui croit que la seule voie pour l’humanité est de se normaliser – se
soumettre aux lois – fera une psychothérapie, et non pas une psychanalyse.
Alors, dit J. Forbes à ceux qui sont alarmés par l’anarchie, ne vous en faites
pas, car la liberté est la limite de la liberté.

C’est l’envers que de penser que “la liberté de l’un termine où commence celle
de l’autre”. Il vaut mieux écouter Tercio Sampaio Ferraz Junior: ” la liberté
de l’un commence où commence celle de l’autre” (Estudos de Filosofia do Direito,
São Paulo: Atlas, p. 137).

La
journaliste, Luciana Reale, fille de Miguel Reale Júnior, ayant invité Jorge
Forbes à écrire sur “l’instabilité émotionnelle”, celui-ci a préféré proposer
un texte sur “Le silence des générations”. C’est ce texte, qui va être
publié prochainement, dont il fait maintenant la lecture. En un langage destiné à l’opinion éclairée, il pointe
les sursauts réactionnaires de ceux qui ont peur de la liberté, en formulant la
question: est-ce ainsi que nous recevrons la venue au monde de l’éthique du
désir?

C’est
une éthique que nous pourrions apprécier de manière optimiste, dans la mesure
où elle convoque la personne à vouloir ce qu’elle désire -ce que justement la
psychanalyse a lutté pour instaurer en des temps d’une société répressive.
Le
texte indique la possibilité d’éducations, au pluriel, pour dire qu’une
éducation donnée aux enfants, aux élèves, est toujours une option personnelle.
Option faite par le vouloir, en son arbitraire, et non par le savoir. Le vouloir pointe dans le silence de la raison, dans
ce qui ne se démontre pas logiquement, dans ce qui ne se déduit pas, ce qui ne
vaut pas pour tous les cas.
S’il y a un héritage digne de la paternité, chose la plus précieuse que l’on
puisse léguer à un fils, c’est le silence dans les explications, reflétant la
limite de la raison. Il incombe aux parents de supporter ce statut personnel,
singulier, des choix qui, évidemment, permettra au fils de répondre “je ne
t’aime pas”.
Car, lorsque la signature personnelle de celui qui éduque est escamotée,
lorsqu’il est interdit au fils de dire “je n’aime pas”, la signature du fils ne
trouve pas non plus à s’inscrire. C’est alors le débridement, la barbarie, les
drogues.
L’expérience de l’association libre sur le divan est la preuve de cette limite
des explications qui se résout en un nom propre. Elle montre qu’il ne faut pas
désespérer de la liberté.

A
travers cette expérience, Jorge Fobes affirme: “Je n’ai pas peur”. Il pense,
citant Gilles Lipovetsky dans Métamorphoses de la culture libérale (Quebec:
Libert, p. 47): qu’il est vrai que “nous assistons à une multiplication de
morales”, nous sommes témoins d’une “diversification des concepts de bien”, un
polythéisme des valeurs, dans le recul des traditions par l’affirmation de
l’autonomie de l’individu. C’est le temps où il revient “à chacun d’inventer sa
morale”. On constate le désaccord entre citoyens quant à l’avortement,
l’euthanasie, les drogues, la peine de mort, mais ce pluralisme de morales
n’est pas nihilisme moral. Si dans nos sociétés le plaisir, la sexualité, la
jouissance, ont été élevés à la magnificence, dit Lipovetsky, cela ne signifie
pas que ces sociétés se livrent à la débauche ou à l’anarchie sexuelle. A ce
propos, il cite des enquête faites en France, qui montrent que les jeunes
d’aujourd’hui, en dépit de la libération, ne vivent pas dans la promiscuité.
Les extravagances majeures et les atrocités constituent toujours des
expériences très minoritaires.
Jorge Forbes aborde donc le sentiment de l’époque: le débridement. La semaine
précédente, il avait parlé de la tendance à la croissance de la solidarité, et
Lipovetsky la confirme en donnant à l’appui l’exemple de la sensible
augmentation des indices de travail volontaire. Le désespoir, en des temps
comme aujourd’hui, dit Jorge Forbes, montre seulement que nos pieds avancent et
que nous oublions nos têtes dans le passé, en pensant de forme réactionnaire. C’est une allusion
à un dit de Lacan: pour savoir où quelqu’un va, il vaut mieux faire attention à
ses pieds qu’à sa tête.

Si
quelque chose peut nous causer quelque souci, dit Jorge Forbes, ce n’est
évidemment pas la liberté. C’est, au contraire, l’étouffement des singularités
par la norme, l’appel à un maître, la prévalence de la tête conservatrice qui
clame pour le retour de la morale unique et ordinatrice, totalitaire.

Jacques-Alain Miller aborde
cette question, en situant la psychanalyse en faveur de ce qui échappe à
l’ordre, dans son plus récent livre, Le Neveu de Lacan, (Verdier). Jorge Forbes commente: le titre paraphrase une oeuvre
de Diderot, Le Neveu de Rameau, dans laquelle le personnage, se promenant au
Palais Royal, raconte à son interlocuteur, dans un discours cynique, ses
manières de s’esquiver de la norme. C’est une satire des Lumières, dont l’idéal
est de trouver dans la raison ce qui pourrait faire de tous des égaux. Diderot
montre les failles de ce projet.

Un chapitre du livre de Jacques-Alain Miller est “Sur Carl Schmitt” – juriste
allemand de mauvaise réputation en raison de sa sympathie pour le régime nazi. Jacques-Alain
Miller le met en contrepoint de Hans Kelsen, juriste autrichien qui a recherché
la science pure du Droit, ce pour quoi il lui fallait dégager la structure
universellement constante dans les divers systèmes juridiques, tout en les
isolant des questions éthiques, sociologiques, morales, psychologiques. Le
mathème de Lacan x,fx “que Jacques-Alain
Miller identifie aux propos de Kelsen est le 
la formule d’une logique totalisante. Pour Schmitt, par contre, de qui
Jacques-Alain Miller n’estime pas les choix politiques, mais sa x qui
conviendrait.fx $réflexion sur l’exception, c’est le mathème 
Pour Jacques-Alain Miller, “l’anti-exceptionnalisme est toujours une erreur”
(p. 266). Dans la mesure où il recouvre l’angoisse – qui est le sentiment de l’exclusion,
de la particularité radicale, le seul sentiment qui ne trompe pas (Lacan) –
l’anti-exceptionnalisme instaure le règne lassant de l’égalité, dans lequel les
machines parlent aux machines, et clame pour un maître qui soit à même de
tracer les coordonnées de l’identification collective. Les exemples ne manquent
pas: après avoir assis les idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité, la Révolution française a
été prise en main par Napoléon; dans l’eugénie d’un peuple, Hitler s’est
soutenu; dans le prétendu nouvel ordre mondial, surgit Bush.
Les deux formules utilisées par J-A
MIller sont les mathèmes que Lacan a créés en 1973, dans le Séminaire XX,
Encore, . Dans le texte du Séminaire, elles apparaissent dans le “tableau de la
sexuation”, dans lequel Lacan expose, grosso modo, deux organisations de l’être
humain: l’organisation masculine et l’organisation féminine.

Dans ce tableau, les deux
formules présentées se trouvent toutes deux du côté gauche, le côté masculin.
Elles exposent la structure du monde industriel. Du côté féminin, en x (il n’existe pas x qui soit hors de l’fx $revanche,
se trouvent  ). Lafx (pas-tout x est sujet à l’ordre fx “, phallique) et fordre  négation des quantificateurs dans ces deux
formules – c’est-à-dire des  – ne se$, et de l’existence , “symboles pour tout , rait pas admissible en logique
symbolique. Lacan s’approprie ces symboles en leur conférant une nouvelle valeur,
pour exposer donc l’organisation féminine . L’être parlant qui s’inscrit de ce
côté – car les êtres parlants peuvent s’inscrire dans n’importe quelle colonne
du tableau, indépendamment de leur sexe biologique – “ne permettrait aucune
universalité, serait pas-tout, en ce qu’il a le choix de se mettre dans ???? ou
de ne pas y être”. le tableau est le suivant:

La possibilité de nier la totalité phallique fait de l’organisation féminine
une organisation non-oedipienne. En ceci elle diffère de l’organisation
masculine, qui ne réussit à penser ce qui est différent de sa loi que comme
exception ( ce qui signifie toujours prendre en compte la loi). La femme
parvient à nier jusqu’à l’exception, à être située en un lieu radicalement
différent, et quand même à se mettre en x.f

Pour saisir l’organisation
féminine, il a alors fallu à Lacan introduire dans la psychanalyse une forme de
transmission qui aille au-delà du cartésianisme – masculin – de la division
entre loi et exception. Au-delà des
raisonnements ordonnés et linéaires. Pour cela il a fait appel aux nœuds
borroméens, une figure topologique composées de trois anneaux noués de telle
sorte que si l’un est défait, tous se séparent. Le nœud à trois anneaux est le
nœud des trois registres,: imaginaire, symbolique et réel. Ainsi la
psychanalyse a été préparée pour opérer aussi sur la féminité et pour agir sur
la période post-industrielle, post-oedipienne. Aujourd’hui dit Forbes, nous
sommes borroméens dans nos pieds, et nous devons accompagner Lacan, en
abandonnant le cartésianisme dans nos têtes.

Le 29 mai 2002, dans une
intervention au cours du Séminaire de Jacques-Alain Miller, Éric Laurent
faisait remarquer que notre temps reflète les mouvements étudiants de mai 68,
dans leur étendard du “il est interdit d’interdire”. A cette même époque, à Vincennes, Lacan parlait aux
étudiants mobilisés. Le 17 juin 1970, il clôt le séminaire XVII sur les mots:
“: c’est que , pas trop, mais justement assez, il m’arrive de vous faire
honte”. La psychanalyse viserait donc la honte, qui manquait à ce mouvement
libertaire.

Éric
Laurent reprend ces termes pour répondre à la question: mais la honte qui
circule déjà tellement, la honte qui pèse au névrosé quand il va chercher un
analyste, ne suffit-elle pas? Évidemment, la honte que Lacan veut causer est
autre, elle n’alimente pas la névrose quand elle s’oppose au débridement.
Forbes poursuit citant É. Laurent:

“La honte est un affect éminemment psychanalytique qui fait partie de la série
de la culpabilité. Une des boussoles de l’action psychanalytique, celle dans
laquelle Lacan a choisi de retraduire la franchise psychanalytique freudienne,
est de ne jamais déculpabiliser. Lorsque le sujet dit qu’il est coupable, il a
d’excellentes raisons de l’être, il a même toujours raison. C’est en tous cas
ce que dit l’hypothèse du sentiment de culpabilité inconsciente: le sujet a
toujours raison d’être coupable. Simplement, il ne sait pas pourquoi. Et
contrairement aux psychothérapies, la psychanalyse reconnaît, admet cette
culpabilité. En ce sens, “faire honte s’inscrit dans une volonté de faire
cristalliser cette culpabilité” ( Cours 19, p. 270 du Séminaire, J-A Miller,
2002).

La proposition peut provoquer la surprise, et J. Forbes ne manque pas de la
renforcer: en effet, Lacan insistait que la clinique doit toujours soulager
l’angoisse, mais sans jamais éloigner la culpabilité.

Dans son séminaire de la semaine
qui suivait l’intervention d’E. Laurent, J-A Miller reprenait et commentait les
termes, reformulant certaines notions sans toutefois discorder, mais y ajoutant
des nuances. Ainsi il suggérait particulièrement la distinction entre honte et
culpabilité.

La honte psychanalytique est
, selon J-A Miller, plus intime que la culpabilité, justement parce que
celle-ci est mue par des facteurs sociaux et moraux. La honte, dit J-A Miller,
“est un affect primaire du rapport à l’Autre”. Et J. Forbes cite: “Dire que cet
affect est primaire, c’est sans doute vouloir le différencier de la
culpabilité. Si l’on voulait s’engager dans cette voie, on dirait que la
culpabilité est l’effet sur le sujet d’un Autre qui juge – à cet Autre on
mettra une majuscule -, donc un Autre qui recèle des valeurs que le sujet
aurait transgressées” (p. 296).

L’Autre
de la honte, par contre, serait antérieur,: il ne juge pas, mais “seulement
voit ou donne à voir””. Il est l’Autre primordial qui fonde la pudeur de la
nudité, par exemple, indépendamment de toute transgression. J-A Miller met en
rapport , au bout du compte, la culpabilité avec le désir, et la honte,
radicalement intime avec la jouissance.

C’est cette honte
psychanalytique, au-delà du jugement, au-delà du délit et de la morale, la
seule réponse possible au débridement de la globalisation, conclut Jorge
Forbes. L’honneur, symbolique, se fonde sur cette honte. En même temps, ce qui,
de l’imaginaire, touche ce point intime de chaque personne – qui lui permet d’y
faire avec sa particularité – c’est le luxe, selon la présentation qu’en fait
Jorge Forbes: un luxe très particulier, psychanalytique.

synopsis de Andréa Naccache